Si le déconfinement redessine le monde, il s’accompagne de nouveaux marchés qu’entendent bien saisir les jeunes pousses françaises.
« J’admets qu’on a eu une approche un peu opportuniste. » Amélie Caudron, PDG de la start-up Invoxia, ne s’en cache pas : la crise du coronavirus pourrait finalement favoriser ses affaires. Le confinement a commencé par mettre un coup d’arrêt à son activité de vente de trackers GPS (pour sécuriser son vélo, sa valise, ou suivre son animal de compagnie). Mais, à l’approche du déconfinement, tout est reparti de plus belle, retrace la dirigeante :
« Un gros acteur du CAC 40 nous a contactés pour accompagner sa reprise sur un site industriel avec une solution de tracking de personnes permettant d’encourager la distanciation sociale. Ce n’est pas une technologie hypercomplexe, et nous avions tout à notre disposition. »
C’est ainsi qu’est né le Spacing Companion, sorte de badge à glisser dans une poche, qui bipe dès que deux salariés sont trop proches l’un de l’autre. Un moyen de faire respecter les deux mètres de distance entre chacun, sans capter aucune donnée personnelle sur le porteur. « Notre produit permet à l’entreprise de montrer qu’elle met en place des solutions de sécurité pour ses employés, et améliore son image de marque », conclut Amélie Caudron. Le dispositif séduit déjà beaucoup en France et à l’étranger, pour des chantiers comme pour des open spaces, et les carnets de commandes d’Invoxia sont pleins.
« C’est le moment propice »
« Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté », disait Winston Churchill, souvent cité par les entrepreneurs. L’injonction à rebondir en temps de crise se vérifie particulièrement à l’aube du monde d’après-Covid-19. « Le monde vient de changer et le déconfinement s’est accompagné de nouvelles contraintes, en matière d’hygiène, de distances de sécurité, de communication renforcée, de suivi et d’organisation des ressources humaines…, souligne Caroline Vion, responsable de Digital Ventures, le studio d’incubation du cabinet Boston Consulting Group (BCG). Cette situation va malheureusement durer longtemps, et ce sera lourd pour les entreprises. Aussi, c’est le moment propice pour repositionner un outil préexistant ou pour lancer un nouveau service, permettant de gérer plus facilement ces contraintes. »
Invoxia n’est pas la seule société à avoir su saisir l’occasion. « Durant le confinement, je pense que toutes les entreprises technologiques se sont demandé comment être utiles, note Raul Bravo, président et cofondateur d’Outsight. Et elles répondent aujourd’hui avec leur savoir-faire. » Sa start-up, spécialisée dans les capteurs lidars (sorte de radar par laser) pour voitures autonomes, a « détourné » sa technologie pour analyser les foules, afin de détecter la promiscuité ou la température corporelle, ou de vérifier le port d’un masque. En somme, l’outil parfait pour scruter le monde post-coronavirus. « C’est aussi très pratique pour identifier les points de blocage, et éviter la création de files d’attente », vante le patron.
Outsight a su miser sur une technologie en cours de développement avant la crise sanitaire, pour mieux accélérer sa diversification. Premier séduit : l’aéroport Charles-de-Gaulle, dont le terminal 2E se voit déjà doté du dispositif, avec l’idée de rassurer les passagers lors de la reprise du trafic aérien. Avant de nouveaux déploiements chez des opérateurs de transport étrangers.
« Un des principaux enjeux pour les entreprises est de rassurer les salariés ou les clients pour leur retour », analyse Caroline Vion du BCG.
« Un marché à très fort potentiel »
Alors que la France connaît une récession brutale et inédite, avec de nombreux acteurs dans le marasme, certaines start-up tirent leur épingle du jeu. Après tout, quelques-unes des plus belles pépites de la French Tech ont été créées durant des crises – PriceMinister, devenu branche française de Rakuten, a été fondé à l’orée de la bulle internet, Sigfox et Vestiaire Collective créés durant la récession de 2009. Aussi, la moitié des entrepreneurs de la tech française estiment que la période actuelle pourrait être pourvoyeuse d’opportunités, selon un baromètre Chausson Finance, cité par « les Echos ».
Même résultat pour le dernier baromètre de Cap Digital, avec la moitié des start-up françaises déclarant avoir répondu à des demandes de projets innovants. Technis, start-up franco-suisse spécialisée dans le comptage des personnes par l’intermédiaire de sols connectés, est un bon exemple.
« Quand la crise a éclaté, tout le marché s’est contracté, raconte le PDG Wiktor Bourée. On a alors beaucoup échangé avec nos prospects pour adapter notre produit en une nouvelle solution. »
Concrètement, l’outil de comptage est relié à une borne Stop & Go qui indique s’il est possible d’accéder (ou pas) au lieu, en fonction du nombre de personnes déjà présentes. « Cela permet de facilement faire respecter les normes sanitaires, aussi bien dans des commerces, des musées, des universités ou même des cantines d’entreprise, poursuit le directeur. C’est une solution de court terme, pour accompagner la reprise, mais aussi de long terme, puisque nos clients anticipent la prochaine crise sanitaire et comment ils pourraient alors rester ouverts. » CentraleSupélec et Sciences-Po viennent de s’équiper, le Puy du Fou s’apprête à le faire.
Technis dit voir sa croissance déjà multipliée par quinze, avec de nouvelles perspectives, accompagnée par une levée de fonds accélérée et finalisée dans les prochaines semaines. « Les demandes viennent de partout, c’est clairement un marché à très fort potentiel », se réjouit Wiktor Bourée. Le jeune homme rejette toutefois l’idée de « surfer sur une vague » post-Covid-19, assurant vouloir « accompagner ses clients, sans tomber dans le quick-and-dirty », le « vite fait, mal fait ».
« Ça peut accélérer notre développement »
Même logique pour RedLab, start-up d’exploitation des données et d’intelligence artificielle, qui vient de lancer son Neuroo.ai, un logiciel capable d’analyser en temps réel les images de caméras pour détecter le respect de la distanciation sociale et le port (ou non) d’un masque. « Au départ, on n’a pas du tout pensé business, mais plutôt réfléchi à comment aider notre écosystème, assure le fondateur Yassir Karroute. Nous avons ainsi fourni la solution gratuitement à la métropole de Rouen et aux mairies de Normandie. »
Cette technologie post-coronavirus repose sur l’adaptation d’un précédent logiciel d’intelligence artificielle (en deep learning), centré sur la détection d’objets et de comportements suspects, qui devait d’ailleurs être déployé mi-juillet pour la sécurité du festival des Vieilles Charrues (finalement annulé). Au-delà de participer à l’effort de lutte contre le Covid-19, la start-up a peut-être trouvé là son nouveau produit phare, déjà plébiscité outre-Manche et outre-Atlantique, où l’utilisation ne sera pas gratuite.
« On n’a jamais eu vocation à devenir un revendeur de solution de tracking de masques, mais ça peut accélérer notre développement », note l’entrepreneur normand, encore dans l’expectative.
Qu’il ne tarde pas trop, parce que l’effervescence est loin de se limiter à l’Hexagone. En Chine, la start-up Rokid a développé des lunettes de réalité augmentée pour les forces de l’ordre, afin d’afficher la température des passants, tandis que le géant de la reconnaissance faciale SenseTime a déployé ses analyses thermiques dans les gares du pays. En Israël, la start-up Neteera va plus loin avec une caméra thermique capable de détecter la température, mais aussi les fréquences cardiaques et respiratoires. Promesse d’un dépistage sans contact des premiers symptômes du Covid-19. Enfin, en Belgique, la start-up Rombit a adapté son bracelet connecté pour le respect de la distanciation sociale sur le lieu de travail. Comme le virus, l’opportunité n’a pas de frontière.
Source : L’Obs