De jeunes étudiants et étudiantes téléchargent des applications comme TaData, WeWard et SweatCoin. Elles leur permettent de gagner un maigre butin en échange de leurs données personnelles.
Fini le dog-sitting et la tonte de pelouse : pour gagner de l’argent de poche certains GenZers préfèrent monnayer leurs données personnelles. Ce nouveau petit boulot du web peu cher payé se fait via des applications comme TaData, WeWard, Vazee ou encore SweatCoin.
Lise (les prénoms ont été modifiés), 21 ans, étudiante en master à Sciences Po, utilise TaData, une plateforme spécialement ciblée pour les (très) jeunes : 15-25 ans. Depuis deux mois, elle se connecte régulièrement à l’appli pour répondre à des formulaires marketing. « Il s’agit la plupart du temps de questionnaires sur nos préférences de consommation (types de musique que j’aime écouter, quel électroménager je souhaite acheter…). Je reçois une notification dès qu’un nouveau questionnaire est en ligne, et je le fais, ça prend moins de 5 minutes », explique-t-elle. Bilan des courses ? Une quinzaine d’euros, pas de quoi remplir le frigo, mais la somme « n’est pas négligeable », « surtout quand on est étudiant », estime Lise.
« Épicerie bio de la donnée »
La jeune femme voit aussi la démarche comme un acte militant. « TaData me donne la possibilité de donner un consentement éclairé sur la commercialisation de mes données, reprendre le contrôle et dire aux autres entreprises comme Facebook que me commercialiser sans que je le sache est injuste. C’est une manière de se révolter contre les grands groupes et de demander de ne pas être exploitée », argumente-t-elle. C’est d’ailleurs sous cet angle que se présente l’application qui réunit aujourd’hui près de 4 500 utilisateurs. « Tous les jours, les acteurs d’internet utilisent tes données personnelles à ton insu et se font de l’argent sur ton dos ! Avec Tadata, dis STOP : reprends le contrôle de tes données perso et gagne de l’argent avec ! », peut-on lire sur son site.
Alexandre Vanadia, l’un des co-fondateur de TaData, définit carrément son entreprise comme « une épicerie bio de la donnée », qui permet un circuit de la data plus « directe et équitable ». « Des milliers de jeunes sont vendus à leur insu par diverses applications et les géants du web. Il paraît inconcevable que la matière première d’une économie, la donnée personnelle, ne soit pas rémunérée. Dans n’importe quelle autre industrie c’est le cas », expose l’entrepreneur, proche des idées du philosophe libéral Gaspard Koenig et de son think tank Génération Libre. Ce dernier plaide pour un droit de propriété sur les données personnelles.
TaData ne manque pas de se rémunérer sur la vente des informations renseignées par ses utilisateurs. Chaque profil est vendu entre 16 et 25 euros. Sur une vente de 16 euros, TaData dit prendre une marge de 3,5 euros, l’étudiant est lui rémunéré 5 euros, et le reste couvre les frais de fonctionnement. Les acheteurs sont principalement des établissements privés de l’enseignement supérieur, des banques, des distributeurs et des acteurs de la téléphonie.
Gagne de l’argent en marchant (et en filant tes données surtout)
TaData annonce clairement collecter et vendre les données de ses utilisateurs à des annonceurs. Mais d’autres sont moins explicites. Le pitch de WeWard ? « Gagne de l’argent en marchant ». WeWard encourage ses utilisateurs à faire de l’exercice, certes, mais ce ce sont surtout leurs données de géolocalisation, et celles sur leur activité physique et leur personne qui l’intéressent. L’application les vend à des commerçants partenaires qui peuvent ainsi mieux cibler leurs potentiels clients. En échange les utilisateurs reçoivent des bons d’achat et de l’argent. Même principe pour Vazee, une appli qui « récompense chaque sortie food and drink ». Les utilisateurs gagnent des points contre une photo de leur additions au bar et au restaurant et transmettent d’autres données (géolocalisation, informations sur leur smartphone, ville, genre…).
Pour Sarah, utilisatrice de WeWard de 18 ans, cette collecte de data n’est pas un problème. « Je ne me suis pas vraiment renseignée sur l’utilisation de mes données personnelles, admet-t-elle. Je sais que l’application me géolocalise et que j’aurai des publicités personnalisées, ce qui ne me gêne pas. Et puis de toute façon je suis tout le temps géolocalisée par mon téléphone, WeWard ou pas.»
Cette étudiante parisienne a pour le moment récolté 8,40 euros en marchant environ 15 000 pas par jours pendant un mois et demi. « Il suffit de se connecter en fin de journée et de valider ses pas », explique-t-elle. Sarah est ensuite récompensée en « wards », des points qu’elle échange contre des bons d’achats ou un virement sur son compte en banque. L’étudiante, qui garde des enfants en parallèle de ses études, considère l’application comme un simple petit plus. « Ma colocataire et beaucoup de mes amis ont aussi téléchargé l’application », précise la jeune femme. WeWard, comme les autres apps dites de récompense, attire de nouveaux clients grâce à des codes de parrainage qu’il est possible de générer sur l’application. Lorsqu’un nouvel inscrit utilise ce code, son « parrain » est récompensé par des points.

« Data prostitution »
Selon Ogury, spécialiste de la publicité mobile, les usagers de ces applis sont majoritairement des femmes (66%), plutôt jeunes. 28 % ont entre 18-24 ans et 30 % entre 25 et 34 ans. Souvent ces utilisatrices téléchargent d’autres applis permettant de gagner de l’argent et des bons d’achat, ainsi que des applications anti-gaspi comme Too Good To Go et Phenix. Sur TikTok, de jeunes femmes partagent ainsi leurs « bons plans » pour gagner des euros « facilement » en énumérant des applications que certains utilisent en simultané, et en partageant des codes de parrainage.
Certains observateurs voient d’un mauvais oeil la prolifération de ces applications qui encouragent la monétisation de ses propres données. Sur son blog Affordance Info, Olivier Ertzcheid, maître de conférence en sciences de l’information, parle de TaData comme d’« une entreprise de data prostitution pour mineurs ». « Nous parlons de jeunes de 15 ans à qui l’application Tadata propose de vendre leurs données personnelles alors même que la plupart d’entre eux n’ont absolument aucune idée de la valeur réelle de ces données sur le marché attentionnel, et que ce n’est certainement pas le modèle de Data-proxénétisme promu par l’application Tadata qui va les affranchir sur ces sujets », explique le chercheur.
De nouveaux travailleurs du clic précaires
Le risque d’un tel marché est aussi de créer de nouvelles formes de travail sous-payé. Pour le sociologue Antonio Casilli, TaData, sous-prétexte de « faire gagner de l’argent aux jeunes dédouane la monétisation des données personnelles et transforme de fait tout usager en travailleur du clic précaire.» Même son de cloche chez l’économiste Alain Rallet, qui nous expliquait dans un précédent article craindre de voir se creuser un écart entre d’un côté les riches qui n’auront pas besoin de vendre leurs données et pourraient même payer pour les protéger, et de l’autre les plus pauvres, poussés à les monétiser.
En février, l’association de défense des internautes Internet Society a signalé TaData à la CNIL après avoir découvert que l’application « était assez loin de respecter tous les points du RGPD (le Règlement européen sur les données personnelles), notamment en matière de consentement », explique le président de l’association à l’AFP. Le gendarme des données personnelles a conclu son enquête cet été sans sanction ni mise en demeure.

Google fait pareil
Alexandre Vanadia se défend de ces critiques en arguant que le modèle de son entreprise est une manière de militer contre la captation de données effectuées par les GAFAM. « Aujourd’hui nous sommes tous volés pour nos données, CSP+ comme personnes plus modestes. C’est un fait. On ne pourra pas changer le système. Ce que nous proposons, c’est un itinéraire bis. Le jour où il y aura une redistribution massive de l’argent des données par les réseaux, on fermera TaData.» Pas sûr que cela arrive… en revanche Google propose déjà un système similaire à TaData. Son application Google Opinion Rewards (qui a atteint 50 millions de téléchargements en juin) propose aux usagers de répondre à des sondages contre un avoir sur le Google Play Store…
Source : l’ADN