Difficile d’être plus ambigu que les jeunes à l’égard de Facebook, outil incontournable pour qui veut rester “connecté”, mais vecteur d’inquiétudes face aux récents scandales de vol de données personnelles.

Du Lycée en forêt à Montargis aux établissements scolaires de La Rochelle en passant par les rues parisiennes, aucun ado n’a échappé à l’arrivée de Facebook en France en 2007. Très rapidement populaire, le réseau social américain, développé depuis près de trois ans par Mark Zuckerberg, a massivement été rejoint par les lycéens de la fin des années 2000. Ils étaient déjà adeptes du chat MSN et des différents hébergeurs de blogs (Myspace, Skyblog…) sur lesquels, à peine rentrés de cours, ils passaient quotidiennement plusieurs heures. Pour « ne pas [se] sentir exclue », Emilie, infirmière de 28 ans, s’est inscrite dès 2008 alors qu’elle était lycéenne dans le Loiret, mais sous pseudo pour se protéger. Comme elle, Jessica, 26 ans aujourd’hui, consultante en gestion des risques, a cédé à la pression sociale et s’est créé un profil il y a quatre ans, « ça devenait vraiment galère de ne pas être sur Facebook, surtout pour les cours ! Pour les travaux en groupe, tout s’organisait par ce biais ».

Pour toute une génération connectée et très mobile, abonnée aux voyages et aux expériences Erasmus, Facebook s’est imposé comme un outil de communication incontournable. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Audrey, jeune graphiste parisienne, tient à son compte Facebook, « pour rester en contact avec mes amis à l’étranger mais aussi en France, c’est essentiel ». Créateur de lien social, le site a aussi permis aux jeunes de se retrouver par communautés de goûts. Grâce à lui, Tristan, la vingtaine, passionné par le groupe de rock Muse, partage depuis six ans, sur une page consacrée à ce groupe, sa passion avec d’autres fans. Aujourd’hui, ils forment une communauté active et soudée de vingt-cinq mille personnes.

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« Groupe », « partage » : les maîtres mots du réseau social ! S’emparant des multiples fonctions dès leur mise en place sur la plate-forme, les utilisateurs publient compulsivement photos, vidéos, musique, guide de survie à la répression parentale, déclaration d’amour et autres tracas adolescents. Mais les années passent et les lycéens grandissent. La peur de ne pas être crédible aux yeux des employeurs en affichant un profil Facebook débridé prend le dessus. Les souvenirs de vacances, de fêtes arrosées et autres péripéties passionnantes sont remplacés par des clichés minutieusement choisis. La « génération selfie », souvent accusée de narcissisme, a une maîtrise de plus en plus fine (ou névrotique ?) de son image sur Internet. « Mon utilisation du réseau a beaucoup évolué : je regrette toutes les photos postées et celles sur lesquelles je suis taguée. Je ne me retrouve plus dans cette prolifération publique de mon image. Et en plus on se rend compte en grandissant que ce réseau nous espionne et garde nos informations. Il y a huit ou dix ans, on ne le savait pas », avoue Louise, social media editor pour un magazine. Pseudos, compte personnel séparé du professionnel, les astuces mises en place pour retrouver son anonymat et protéger sa vie privée sont nombreuses.

Pour autant, personne n’est dupe. La pratique du stalking (l’espionnage) est un des passe-temps favori sur Facebook. D’ailleurs, ses utilisateurs, sincères, ne s’en cachent pas. A l’instar de Noémie, en fin d’études préparant aux métiers de l’édition, qui confie : « Je pense que je reste sur ce réseau social pour une raison presque malsaine : l’envie d’espionner et de continuer à avoir des nouvelles de personnes à qui je ne parle plus. » Fleur, étudiante dans la même formation, à Nanterre, que Noémie, confesse : « Cela fait quelques années que je suis très peu active sur Facebook, j’y vais encore assez souvent, mais c’est en tant que spectatrice. J’ai déjà pensé à me désinscrire, à cause à la fois de son aspect chronophage et de son côté un peu absurde de voyeurisme et “vitrine de soi-même”. »

Les plus jeunes délaissent Facebook pour Snapchat et Instagram

Au contraire de leurs aînés, les « millenials » (nés dans les années 2000) délaissent Facebook. Ils privilégient des réseaux comme Snapchat (échanges de photos en privé) ou Instagram (qui permet facilement de retoucher les photos publiées). Le réseau social mondial s’attend à perdre deux millions d’utilisateurs chez les moins de 24 ans aux Etats-Unis en 2018. Facebook, malsain et ringard ? Peut-être, mais Fleur et les autres, qui fêtent leurs dix ans sur le réseau cette année, ne le quittent pas pour autant. Noémie raconte avoir maintenant une pratique politique de ce site. « Je partage des articles auxquels je trouve important de donner une certaine portée, principalement politique ou féministe », explique-t-elle. Pour Clément, lui aussi la vingtaine, Facebook est une « zone d’expression personnelle » où il relaie « surtout  des choses qui m’émeuvent et me semblent capitales, c’est-à-dire principalement militantes ». L’engagement 2.0 émerge. Très récemment, la mobilisation étudiante contre la loi ORE (relative à l’Orientation et réussite des étudiants) le prouve. La communication et l’organisation, très efficaces, des actions et assemblées générales se fait via les pages des comités de mobilisation des universités.

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Quitter Facebook ? La question se pose de plus en plus, mais….

« Flippées » et « horrifiées », Emilie et Louise pensent à quitter Facebook depuis l’explosion du scandale de Cambridge Analytica, qui a révélé l’absence de protection des données personnelles par le site de Mark Zuckerberg. C’est même un « vrai débat de société » pour elles. Elles y pensent… et puis oublient : la génération Y ne franchit pas le cap et ne se désinscrit pas. « J’ai naïvement l’impression de ne pas donner beaucoup (faux nom, pas d’adresse, peu de photos de moi…). Qu’est-ce que le site peut vraiment faire de ces informations ? Parce que quitter Facebook signifierait perdre des contacts amicaux et professionnels précieux, perdre toute l’actualité événementielle (concerts, expos, salons, festivals) », affirme Louise, troublée. Margaux, chargée de communication de 25 ans, est du même avis : « Pour le moment je n’envisage pas de quitter Facebook, son utilisation est trop liée à mon métier et à mes habitudes. »

En dix ans, Facebook s’est rendu indispensable. Nolan, ingénieur de 25 ans, irait volontiers vers d’autres réseaux plus sécurisés. A condition qu’ils soient aussi dynamiques et proposent le même genre de fonctionnalités. Difficile, pour lui, de renoncer à l’organisation de sa vie sociale en deux clics, à une recherche d’appartement efficace, ou encore à la prise de contact facile avec une communauté francophone quand il part vivre à l’étranger. Le site s’est imposé dans le quotidien de toute une génération consciente des dangers de Facebook et de la responsabilité individuelle, mais résignée. Des plates-formes comme Framasphère se développent et se veulent plus respectueuses des données personnelles des utilisateurs mais demeurent à la marge. D’ailleurs, Clément préférerait communiquer grâce à ces alternatives, mais, selon lui, « Facebook domine tout, et c’est impossible d’exister en dehors »…

Source : Telerama