La notion d’agilité en entreprise est un concept multidimensionnel complexe. Expliquer chaque dimension à un patron traditionnel est plus susceptible d’engendrer frustration et surcharge mentale que compréhension. Et si on se faisait aider par des métaphores ?
En voici quelques unes qui peuvent contribuer à faire avancer le débat de manière constructive.
1. L’objectif de l’entreprise : Une révolution copernicienne
En termes d’objectif ou d’idéologie, l’agilité commerciale implique de passer d’une focalisation sur le gain d’argent à une attention plus poussée pour les besoins des clients.
Elle s’apparente à la révolution copernicienne de l’astronomie, dans laquelle nous avons réalisé que la Terre tourne autour du Soleil, et non l’inverse. Cela a changé non seulement l’astronomie mais aussi la société dans son ensemble : des phénomènes sociaux comme le Droit divin des rois et l’Église catholique romaine ont commencé à paraître invraisemblables dès que nous avons compris que la Terre n’est qu’un grain de poussière dans un univers beaucoup plus vaste.
De même, l’introduction de l’agilité au sein des organisations implique la réalisation que dans un monde complexe et en pérenne évolution, l’entreprise tourne autour du client, et non l’inverse. Tout ce que fait cette dernière doit désormais être considéré sous l’angle de son impact sur le client, et non plus seulement sous l’optique du profit réalisé.
En effet, comme le montre l’expérience d’une société agile comme Amazon, le fait de satisfaire le client rapporte plus à l’entreprise et à ses actionnaires que les efforts explicites pour gagner de l’argent « sur le dos du client ».
2. Architecture du travail : Le football américain contre le basket-ball
En ce qui concerne l’architecture du travail, l’agilité des entreprises implique un passage de la bureaucratie à un mode de fonctionnement qui fait appel à tous les talents du personnel, souvent par le biais de petites équipes auto-organisées travaillant selon des cycles courts. Ce changement est similaire, à certains égards, à la différence entre le football américain et le basket-ball.
L’entreprise du XXe siècle est, en quelque sorte, comme une équipe de football américain, qui, dans la NFL, est étroitement contrôlée par un « entraîneur » qui prend toutes les décisions concernant la stratégie, les joueurs, la manière dont ils bougent et les tactiques spécifiques qu’ils réalisent. En fait, le jeu est arrêté toutes les quelques secondes pour permettre de communiquer ces décisions du haut vers le bas aux joueurs.
En revanche, une société agile ressemble davantage à une équipe de basket-ball dans laquelle les joueurs jouent en tant que sous-équipes (attaque et défense) au sein d’une team globale. L’entraîneur est un véritable coach et reste en dehors du terrain de jeu. Les décisions sur la façon de jouer et les mouvements spécifiques à effectuer sont de la responsabilité des joueurs.
Cela entraîne une différence très importante dans le temps de jeu réel. Au basket-ball, un match de deux heures comporte au moins 60 minutes de temps de jeu. En revanche, un match de football américain NFL de trois heures ne dure que 11 minutes.
Ce phénomène ressemble beaucoup à la différence entre bureaucratie et agilité. Dans une bureaucratie, souvent plus de 50 % du temps est consacré à rendre compte du travail qui a été fait, qui est en cours ou qui sera réalisé à l’avenir, plutôt qu’à effectuer réellement une tâche censée apporter une valeur ajoutée au client final. En revanche, dans les entreprises agiles, la plupart des équipes ont une ligne de vue claire sur le client ; tout travail qui n’apporte pas de valeur ajoutée au consommateur final est discutable. En conséquence, le gaspillage réel est systématiquement éliminé.
Cela illustre également comment des mots identiques peuvent avoir des significations radicalement différentes. Par exemple, « coach » : dans le football, un entraîneur est celui qui reste sur la touche et laisse les joueurs prendre des décisions, tandis que dans le football américain, un coach est un commandant et un contrôleur qui, bien qu’il reste sur la touche, décide activement de chaque match, ce qui est la quintessence du micro-manager.
De la même manière, le terme « manager » a une signification différente dans une bureaucratie et dans une entreprise agile. Une partie de la transition de la bureaucratie à l’agilité des entreprises implique non seulement d’apprendre les nouvelles significations de mots apparemment familiers, mais aussi de changer les comportements associés à ces mots. Cela ne se fait évidemment pas du jour au lendemain. Comme l’a suggéré le théoricien social Thomas Kuhn, cela peut ressembler à « rentrer dans un nouveau monde ». L’entreprise devient beaucoup plus productive parce qu’elle fait appel à tous les talents, lesquels sont en contact permanent avec les clients. Dans ces entreprises, les êtres humains créent plus de valeur pour les autres êtres humains.
3. La dynamique de l’entreprise : PC contre applications iPhone
En ce qui concerne la dynamique de l’entreprise, une entreprise « non agile » est comme un PC du XXᵉ siècle : ses composants fonctionnent séparément comme des programmes informatiques distincts. Pour faire quoi que ce soit, il faut fermer un programme et en ouvrir un autre. Les programmes n’interagissaient pas bien entre eux.
De même, les silos d’une entreprise du XXᵉ siècle sont souvent en concurrence les uns avec les autres. Comme l’explique l’ancien général Stan McChrystal dans son livre « Team of Teams » : il y avait « des définitions très provinciales de l’objectif ; mener à bien une mission ou terminer l’analyse des renseignements, plutôt que [gagner] ». Les différentes unités menaient les combats dans leurs propres silos.
En revanche, la dynamique d’une entreprise agile ressemble aux applications d’un IPhone. Ces dernières interagissent facilement les unes avec les autres grâce à des interfaces prédéfinies, sont « toujours actives » et communiquent presque immédiatement.
Dans une organisation agile, les barrières artificielles entre les différentes parties de la structure sont éliminées. L’entreprise fonctionne comme un réseau, où les idées et les informations peuvent circuler de haut en bas (et inversement) ou horizontalement selon les besoins. L’entreprise devient ainsi un ensemble d’équipes qui interagissent et collaborent avec d’autres Teams avec la même connectivité, interaction et passion qu’au sein de leur propre petit groupe. Par conséquent, une fois que le directeur accepte la nouvelle façon de faire, la pression exercée sur lui est beaucoup moins forte.
L’organisation en tant que machine
Dans le langage du management du XXᵉ siècle, les travailleurs ont été transformés en « ressources humaines » : des choses, pas des personnes. Harold Geneen, le PDG d’ITT, a exprimé cette idée de manière très concrète en 1965 : « Le but de la gestion est de rendre les individus aussi prévisibles et contrôlables que les biens d’équipement dont ils sont responsables ». L’idéal était que l’entreprise elle-même fonctionne comme une machine.
Le nouveau livre de Roger Martin, When More Is Not Better (HBRP, septembre 2020), explique pourquoi cela ne fonctionne pas dans le monde actuel qui est de plus en plus volatile, incertain, complexe et ambigu. « Au moment où nous décidons de ce qu’il faut faire, il est tout à fait possible, voire probable, que le système ait changé d’une manière qui rend notre décision obsolète quand elle est appliquée. Et lorsque nous aurons compris cela, le système aura de nouveau changé. En raison de cette adaptabilité, notre principe de conception doit être d’équilibrer le désir de perfection et la volonté d’amélioration ».
<< Article traduit de Forbes US – Auteur (e) : Steve Denning >>