Cette période particulière a contraint les marques à une communication 100% digitale. Et c’est le social media qui s’est retrouvé au centre des problématiques de brand content des annonceurs.
Pour comprendre davantage l’impact de cette situation inédite sur les stratégies digitales des marques, Mushroom a interrogé : Laura ALCAIN, Head of Social Media et Influence MNSTR ; Marion BAUDEL, Directrice Social Media KISS THE BRIDE; Jordane RABUTE, Directeur de la Stratégie LAFOURMI ; Antoine VOLAND-LOGERAIS, Associé et Head of Strategy, PUZZLE.
Et si le coronavirus avait créé une réelle opportunité d’avancer de manière plus efficace ?
La situation inédite à laquelle nous faisons face depuis mars 2020 cause de profondes mutations au sein des organisations. Antoine Voland-Logerais de l’agence Puzzle nous parle d’un catalyseur sur des grandes tendances déjà en germes depuis plusieurs années : accélération de la digitalisation des entreprises, distanciel… et care. Il ajoute : « On a probablement gagné 2 à 5 ans sur la digitalisation des organisations et des collaborateurs. Je suis enseignant à mes heures perdues. Utiliser Discord, Zoom, Mural, Miro… est naturel pour mes étudiants. Ça le devient aujourd’hui également pour leurs aînés. Il leur a fallu sauter à pieds joints dans le grand bain ! »
Au sein de l’agence Lafourmi l’agilité est également plus que jamais la règle. « On doit penser et produire plus vite, avec malheureusement souvent moins d’argent et des contraintes nouvelles. Cela demande à chacun plus de prises d’initiative, plus d’efficacité et souvent des équipes plus réduites en ‘mode commando’ », affirme Jordane Rabute.
En allant plus loin dans la réflexion, on constate que même la façon de communiquer des annonceurs et des gens a changé. Chez Mnstr, on pense que les marques, dans leur quête d’être connectées en permanence avec leurs publics, ont fait évoluer leurs besoins : des discours encore plus immédiats, encore plus agiles, mais toujours aussi consistants et en cohérence avec leur raison d’être, comme nous l’indique Laura Alcain. « Du côté des agences, dans notre objectif de répondre aux nouveaux besoins des annonceurs, on a dû apprendre à s’adapter en un temps record. Avant, on pensait à des discours ‘social friendly’, maintenant on pense à des discours ‘Covid friendly’ ».

Les réseaux sociaux en avant poste ! De la créativité instantanée et de l’agilité !
Selon Jordane R. la créativité a explosé : « il y a eu de nouvelles manières de produire du contenu de qualité avec peu de moyens, d’autres qui étaient marginales qui sont devenus de vraies tendances. Les internautes, et notamment les plus jeunes, sont vraiment débrouillards et créatifs. J’ai hâte de les retrouver en entreprise car je pense que toute cette génération née après 2000 apportera énormément à notre secteur ».
On parle finalement d’accélération et renforcement de proposition de valeur et d’expérience de marques recherchés par nombreux annonceurs depuis le début de la crise, en se servant des réseaux sociaux. Mais dans le fond, comme avance Marion Baudel (Kiss the Bride) : « Et si la Covid 19 n’avait rien changé ? »
En effet, elle nous explique, « l’enjeux principal des annonceurs pendant la pandémie est d’être créatifs sur les réseaux sociaux, ok, mais finalement…n’est-ce pas toujours le cas sur les médias sociaux, où tout va si vite ?… »
Marion B. poursuit en affirmant que le métier est, malgré le contexte, toujours en constante évolution : rares sont les semaines ou les mois sans que l’on annonce une nouvelle fonctionnalité, une mise à jour d’une API, la naissance d’un mouvement, l’essor d’une nouvelle plateforme sociale… « Alors bien sûr, la situation actuelle impacte notre métier, mais finalement rien de révolutionnaire… Vis-à-vis des marques cela s’est traduit par une attente accrue sur le fait d’être utiles et transparentes. Et surtout pas opportuniste ! Il a donc fallu être à l’écoute, créatif, réactif tout en restant prudent, sans se précipiter ».
Et c’est finalement la créativité ou, comme on la définit chez Kiss The Bride, la « créactivité », le mot clé de cette période complexe.
Chez Mnstr, Laura A. nous en parle de manière très claire : « Les réseaux sociaux basés sur la créativité, sur la liberté de création de contenus et sur le partage en direct sont les grands gagnants aujourd’hui. Place donc à Tik Tok, Twitch et compagnie. Les autres essayent de se rattraper, de développer des fonctionnalités et se rendre utiles pour ne pas rester derrière : place aux features qui poussent au partage et aux conversations (les ‘threads’ sur Instagram, le ‘Vanish Mode’ -messages éphémères- sur Facebook, ou encore les ‘Fleets’ -stories éphémères- sur Twitter) et au développement du social selling (le ‘Market Place’ arrive sur Instagram et Facebook soutient le commerce de proximité, entre autres). Mais ceci n’est que le début : les réseaux sociaux ne sont plus du tout les seuls espaces conversationnels dans le monde digital et virtuel et la concurrence va devenir encore plus rude : le Gaming est déjà là ».

Les réseaux sociaux, utiles aux marques mais également à la société ?
Antoine V-L. nous explique, en trois points, que les réseaux sociaux ont permis de garder le lien, qu’il soit business ou humain. Ils ont été et sont le premier support des solidarités. De nombreux mouvements spontanés se sont développés sur les réseaux : groupes d’entraide locale, initiatives pour mettre de la bonne humeur (Les 10 minutes du peuple),…
D’autre part, poursuit le Head of Strategy de Puzzle, les médias sociaux ont été déterminants pour maintenir la conversation, informer sa communauté, notamment sur l’évolution de la situation. La parole s’est libérée pour les citoyens… comme pour les marques : les derniers événements (dramatiques) ont forcés davantage les individus, comme les annonceurs, à prendre position. Par exemple, sur LinkedIn, il y a eu tout un mouvement pour soutenir les petits commerçants et les professionnels parlent aussi beaucoup plus facilement politique. A voir absolument : l’excellent thread de Raphaël Llorca sur la com’ de Monoprix. La situation a ensuite forcé la professionnalisation de la communication digitale des TPE et des indépendants, afin de pouvoir « survivre ».
Cette analyse est partagé également par Laura A. : « Nous sommes en train de vivre une révolution. Et les media sociaux voient leur rôle changer de façon très surprenante : Les gens utilisent les réseaux pour retourner aux sources : se connecter localement, s’évader dans des univers plus simples et joyeux que la situation actuelle, ou encore rechercher l’authenticité.
Par ailleurs Le slacktivisme est plus fort que jamais (#MeToo, #BLM, etc) : les minorités, les messages de tolérance, l’acceptation de soi. Le social révolutionne aussi l’expression de notre identité (plutôt multiple) et notre intimité : les avatars, les messages audio…

Et demain alors ?
Nous vivons une période très intéressante, affirme Antoine V-L. : crise climatique, crise économique, déliaison sociale. Et en même temps… c’est dans ces moments que l’on voit ce que l’on veut devenir en tant que société (et en tant qu’individus). Quel rôle les marques veulent-elles jouer là-dedans ? On parle beaucoup de raison d’être, d’entreprises à mission, de RSE… On est en plein dedans. Il y a encore beaucoup de « washing ». Mais les entreprises doivent (et vont, par la force des choses) se positionner sur ces questions. C’est un moment-bascule, une « krisis » au sens grec.
Va-t-on aller vers des valeurs « refuges » ? La famille, les amis, se recentrer sur soi, ses proches et le local ? Les entreprises vivent un double mouvement : revenir à ses racines (son histoire, sa culture, ses dirigeants aussi) et se projeter (sa vision, sa mission). En termes de branding, c’est passionnant. Il y a de la place pour différents types de « récits ». Celui des valeurs patrimoniales et/ou de la nostalgie, le retour à l’Histoire, à quelque chose de concret et d’ancrer. On peut aussi avoir un storytelling fondé sur le (ré)confort, la chaleur, le cocooning pour une société blessée. Et il y a bien sûr, le discours engagé et la révolte : contre les inégalités et le réchauffement climatique. Les uns n’étant pas antinomiques des autres.
Pour Jordane R., l’évolution du métier passe avant tout par le terrain. « Dans le marketing ou la pub on pense qu’en lisant 3 études on comprend des millions de consommateurs. On est là, jeunes, aisés, au centre de Paris, dans des quotidiens qui n’ont rien à voir avec ceux de 95% des gens. Du coup on manque d’authenticité, de justesse, de vérité ».
D’autre part, le télétravail, largement opté aujourd’hui dans l’ensemble des organisations, peut être l’occasion de travailler depuis l’ensemble de la France et donc de mieux saisir l’état d’esprit de ceux que les marques cherchent à séduire. Et puis, créativement, cela serait aussi une source d’inspiration incroyable de laquelle on se prive aujourd’hui, affirme le Head of Strategy de LaFourmi.
Point de vue partagé par Marion B. qui explique que le télétravail peut-être une excellente opportunité pour chacun de trouver un meilleur équilibre vie pro et perso. Ce qui est essentiel pour excercer son métier avec envie et pouvoir avoir des idées qui, in fine, pourront permettre d’être plus « créactifs ».