Il semble que l’échec ait le vent en poupe. En entreprise, par exemple, on commence à réaliser que le ratage a des vertus. « Je ne perds jamais, disait Nelson Mandela. Soit je gagne, soit j’apprends. »
L’échec, c’est chic. Beaucoup d’indices dans les médias montrent que la lose est dans l’air du temps. « Losers », une série sur Netflix, plongée passionnante dans des histoires d’échecs sportifs. Mais aussi un podcast proposé par France Culture, Superfail, dans lequel Guillaume Erner décortique chaque semaine un ratage de l’histoire ou de l’actualité. Ou encore une série d’été dans le Figaro Magazine : des grands patrons et des personnalités racontent le plus grand raté de leur carrière.
Mais est-il vraiment si récent de concevoir l’échec d’une manière positive ? Pas sûr. En France, le culte du perdant magnifique remonte à loin. Le meilleur exemple, c’est un certain Raymond : Raymond Poulidor, l’éternel deuxième. Beaucoup se souviennent aussi de la finale de la coupe d’Europe de football en 1976. Saint-Etienne avait perdu contre Glasgow mais les Verts étaient des héros.
Nous échouons parce que nous sommes libres. Nous ratons parce que nous sommes libres.
Nous ne sommes pas des animaux: ceux-ci n’échouent jamais, car c’est leur instinct qui les guide. D’instinct, les animaux font des choses à la perfection, comme le poulain qui, au bout d’une heure, saura marcher. Le petit mammifère, lui, tombera plus de 2000 fois et ne marchera pas avant une année. Nous ne sommes pas doués. Nous sommes des animaux ratés, inachevés, des prématurés. Parce que le bébé humain vient au monde bien trop tôt dans son développement, il est donc « imparfait » – et il est confronté à des échecs à répétition. Les surmonter va l’aider à progresser très rapidement. Nous apprenons de nos ratages. Plus encore: nous écoutons les leçons que les autres tirent de leurs échecs, et nous apprenons. Rater rime avec liberté. Parce que nous sommes ratés, nous sommes libres. Nous ne sommes pas déterminés par notre instinct à faire ce que nous savons faire. Nous échouons parce que nous sommes libres.
Selon Charles Pépin, il y a trois vertus de l’échec: celui de la bifurcation (vertu de disponibilité), celui de la persévérance (vertu de compétence) et enfin celui de la « lecture psychanalytique de l’échec » (l’acte manqué – se rapprocher de son désir profond.)
La vertu de disponibilité
C’est un fait: il y a échec. Nous sommes confrontés à la résistance du réel, et parfois nous n’apprenons rien de celui-ci. Il n’y aucun enseignement, et c’est la double peine.
Nous sommes alors désoeuvrés, nous errons. Toutefois, si on change de mentalité, le désoeuvrement devient une disponibilité. C’est la sagesse existentialiste de l’échec. La lecture existentialiste signifie que nous ne sommes pas déterminés par une essence: nous devenons, nous ne sommes pas. Et cette voie de bifurcation (ou du rebond) est plus fréquente que la voie de la continuation. Plus tu échoues, plus tu existes, car plus tu te rapproches d’un autre chemin qui, lui, est le tien.
La vertu de compétence (de progression)
Il y a un échec, et j’apprends, et je persévère, et c’est ma voie. La première vertu de l’échec est de nous préparer aux échecs futurs. Certes, l’échec n’est pas agréable – mais on se rapproche de la vérité de son désir profond par son expérience. Contre l’échec, tout contre l’échec, je mesure mon désir, mon étoile, mon axe.
Toutefois, attention à l’illusion rétrospective de l’échec, et à ces prédicateurs de la psychologie positive pour qui l’échec est toujours vertueux et qu’il faut toujours rebondir, et rebondir vite. Car, non ! Parfois, il y a juste un échec. Et non, il ne faut pas aller vite, mais prendre son temps, se retrouver, et s’interroger sur son échec. De temps en temps, nous avons, ici, besoin d’être accompagné. Telle est la vertu de l’échec : nous offrir un temps d’arrêt, d’examen, de recul, de retour sur soi ; nous offrir la chance d’arrêter d’avancer.
La vertu « lecture psychanalitique » – l’acte manqué
Parfois on ne bifurque pas, et on n’apprends rien; et c’est la vraie vie. Quand je suis confronté à un échec, et que je le répète, peut-être la raison est que je n’ai pas écouté mon désir profond. Peut-être que se joue un conflit intérieur: un échec conscient, et une réussite inconsciente. C’est l’acte manqué, et dans cet acte il y’a échec et succès. L’échec comme étant, déjà, la réussite du désir inconscient. Une réussite par rapport à cet acte manqué. C’est cela, la lecture psychanalytique de l’échec.
Je suis professeur de Philosophie, et lorsque je dis: « Je ne suis pas certain que ce soit bien si votre enfant réussit ses études maintenant, » les parents me prennent pour un fous. Pourtant, je le pense: il y’a un coût du succès, comme il y a des vertus de l’échec. Est-ce que je vais vers ma vérité, ou vers mon talent ?
Quelles sont les conditions pour qu’un échec puisse devenir vertueux ?
Selon Charles Pépin, ils sont au nombre de quatre.
- Pas de déni de son échec. Il faut le reconnaitre, car sans cela, il ne peut pas y avoir de bifurcation, d’apprentissage ou de découverte de son désir profond.
- Pas d’identification à l’échec. L’échec n’est pas celui de mon moi, c’est l’échec de mon projet. J’ai échoué, mais je ne suis pas un raté. C’est mon projet qui est raté, ce n’est pas moi qui suis un raté. Ce n’est pas un échec de la personne. L’échec, c’est la rencontre entre un projet et l’environnement. Ici, parfois le regard des autres, sur nous, nous stigmatise.
- Prendre le temps de s’interroger sur l’échec et entendre ce qu’il a à nous dire. Ce qui est souvent difficile dans nos sociétés. Laisser du temps au temps, s’arrêter, prendre du recul, réfléchir.
- Etre entouré par la bienveillance du regard des autres. C’est la première condition qui ne dépend pas de nous. Notre culture stigmatise l’échec: des regards qui stimagtisment, qui humilent. Il faut changer ce regard, il faut opérer une mutation de ce regard. La logique est de sortir du perfectionnisme pour aller vers le perfectionnement.Nous ne sommes pas dans une logique de perfectionnisme (déguisement, peur de l’échec), mais de perfectionnement (où il n’y a pas de peur de l’échec). Comme je le dis à mes élèves: développe ta singularité, développe ton étoile.
« Donne-moi la force d’accepter ce que je ne peux pas changer, la volonté de changer ce que je peux changer, et la sagesse de savoir distinguer les deux » – Marc Aurèle
Source : ressources.be