La quête de sens semble être devenue le nouveau Saint-Graal des cadres, jeunes et moins jeunes. Pourtant, nombreux sont ceux à avoir choisi un métier de raison, pour des motifs qui leur sont propres. Voici quelques témoignages édifiants.
« Je me suis spécialisé dans l’aéronautique parce que je voulais rester dans la région nantaise, et comme il y a le technocentre Airbus, je savais qu’il y aurait sans doute des opportunités », indique Jules, 33 ans, consultant qualiticien dans l’aéronautique. Pour lui, ce choix répondait à plusieurs exigences : la localisation, un travail assuré, mais aussi un bon salaire, et une carrière balisée. Ce choix est pleinement assumé : « C’est sûr que les métiers de bureau peuvent paraître austères. C’est un peu la raison au boulot et la passion sur les temps libres. Et beaucoup de mes amis sont dans cette situation. »
La passion des médias pour les « bifurqueurs », ceux qui ne veulent plus d’une vie en entreprise car la dissonance avec leurs valeurs est trop forte, et les reconversions hétérodoxes vers des métiers manuels, de la terre, de l’artisanat ou du care, nous ferait presque oublier qu’une grande majorité de jeunes choisissent des métiers tout à fait traditionnels dans des entreprises tout à fait classiques. Et même qu’une partie d’entre eux le vivent très bien !
En 2021, plus d’un tiers des diplômés des grandes écoles se dirigeait vers le conseil ou les services financiers, d’après la dernière enquête d’insertion de la Conférence des grandes écoles. Des métiers stables aux revenus confortables. Dans les sociétés de conseil et d’ingénierie, les jeunes diplômés gagnent environ 35.434 euros brut annuels, hors primes.
Par ailleurs, le phénomène de la «grande démission» est à relativiser , nous avertissait une étude de la Dares fin août. « Les gens démissionnent certes, mais la plupart reprennent un travail dans le même secteur. Ils ne changent pas de métier, ils changent d’entreprise. C’est pour ça qu’on parle aussi de «Grande rotation ». Il n’y a pas que des démissions vouées au sens », analyse Tristan Dupas-Amory, doctorant à l’ESCP Business School et dont les travaux portent sur les questions du consentement au travail et sur les trajectoires professionnelles des jeunes notamment.
DIPLÔMÉE EN MARKETING, ELLE DEVIENT FEMME DE MÉNAGE
L’argent, le confort, le statut social peuvent être des moteurs d’un choix de raison. Mais pas que. Diane a, elle, surtout choisi de fuir le stress et prioriser son équilibre vie pro/vie perso. « J’ai un double diplôme en digital marketing que j’ai fait en alternance. Mais j’ai finalement choisi de devenir femme de ménage ». La trajectoire interpelle.
Alors que cette femme de 28 ans semblait promise à une carrière toute tracée avec un poste à responsabilités, elle choisit, quelques mois après avoir terminé ses études, de changer de voie. « C’est simple, on me proposait que des boulots dont le salaire démarrait à 1.700 euros ou 1.800 euros par mois. » En se remémorant cette période, Diane fulmine : « Dans le marketing, on se retrouve souvent à faire 40 voire 50 heures par semaine. On dit que ce sont de « bonnes situations » mais si on rapporte au taux horaire, c’est très mal payé. »
Maintenant femme de ménage à son compte, elle gagne « environ 2.000 euros par mois. Sauf que là, je ne travaille que 25 heures par semaine et quand je rentre chez moi, ça s’arrête : pas de charge mentale, pas de coup de fil le week-end ou après 20 heures. »
LE « MÉTIER PASSION », NOUVELLE INJONCTION
Tristan Dupas Amory explique l’existence de deux modalités fortes qui dominent aujourd’hui les différents rapports au travail. « Il y a des personnes qui vont faire le minimum parce que le travail n’est pas toute leur vie et qu’elles veulent profiter par ailleurs ». Phénomène que l’actualité a éclairé ces deux derniers mois par l’émergence du « quiet quitting »(ou démission tranquille) popularisé par des tiktokeurs décidés à en faire juste assez pour ne pas se faire virer… Le hashtag cumule près de 150 millions de vues sur le réseau social. « De l’autre côté, on voit de plus en plus, et c’est nouveau, des personnes qui ont une exigence croissante vis-à-vis du sens que leur procure leur travail. Au point de faire du métier passion une nouvelle injonction », poursuit le chercheur.
Mais attention de ne pas aller trop vite en besogne. Pour Diane, devenir femme de ménage est quasiment un choix de sens, en cela qu’il est utile : « Pour moi, femme de ménage n’est pas du tout dégradant. Je trouve que je fais bien mon métier et que je rends un service ».
LES LIMITES DE LA PASSION
Le cas de Maxime reflète bien ce tiraillement. Aujourd’hui, ce jeune homme de 31 ans est consultant fonctionnel finance, mais avant cela son rêve était de devenir musicien professionnel. Ce qu’il a tenté de faire avant de bifurquer dans des études de GEA (gestion des entreprises et des administrations). « C’était juste après le bac, j’étais passionné de musique et je voulais voir jusqu’où je pouvais aller dans cette voie ». Alors, Maxime suit une formation de musiques actuelles, puis intègre le conservatoire. Mais peu à peu, la passion finit par s’estomper « à cause de tous les à-côtés : il y a des cours de guitare qu’il faut donner pour joindre les deux bouts, être toujours en recherche de nouvelles dates pour des concerts, et puis il y a les personnes qui veulent te payer sous la table alors qu’il te faut des cachets… Ça abîme le plaisir et la passion et j’ai fini par me réorienter ».
La raison a donc fini par l’emporter mais Maxime ne regrette rien. « Alors oui, mes copains trouvent que la comptabilité n’est pas la chose la plus fun, et c’est vrai que ça peut être très rébarbatif si c’est juste faire des bilans. Mais moi je travaille beaucoup avec les nouvelles technologies et j’y trouve un intérêt au bout du compte. »
Quant à Jules, il conclut en tempérant l’idée même de métier passion : « J’ai l’impression que ce qui relève du métier passion est très culturel aussi. Qui dirait aujourd’hui qu’un métier de bureau peut être un métier passion ? C’est juste qu’on ne le perçoit pas de cette façon, alors que… Pourquoi pas ? »
Source : Les Echos