Dans le monde du recrutement, ce que vous voyez n’est pas toujours ce que vous obtenez. Derrière une posture assurée peut se cacher une méconnaissance profonde, et derrière une humilité apparente, une réelle expertise. Cette réalité est au cœur d’un biais cognitif largement documenté : l’effet Dunning-Kruger.
Qu’est-ce que l’effet Dunning-Kruger ?
Formalisé en 1999 par les psychologues David Dunning et Justin Kruger, ce biais décrit un phénomène contre-intuitif :
Les personnes peu compétentes dans un domaine ont tendance à surestimer leurs compétences, tandis que les personnes véritablement compétentes ont souvent tendance à les sous-estimer.
Autrement dit :
- Les moins compétents pensent qu’ils sont meilleurs qu’ils ne le sont.
- Les plus compétents pensent que ce qu’ils savent est évident pour tout le monde.
Pourquoi ce biais est-il crucial dans le recrutement ?
Le recrutement est un domaine où l’évaluation des compétences — techniques, humaines, stratégiques — repose souvent sur l’auto-présentation du candidat : son discours, son aisance, son storytelling. Or, l’effet Dunning-Kruger vient biaiser cette perception. Voici quelques implications concrètes.
1. Les profils « trop confiants » ne sont pas toujours les plus compétents
Un candidat sûr de lui, qui « coche toutes les cases » en entretien, peut impressionner. Mais cette confiance affichée ne garantit pas la compétence réelle. Ce type de profil, touché par l’effet Dunning-Kruger, peut ignorer ses propres lacunes parce qu’il ne sait pas ce qu’il ne sait pas.
👉 Risque pour le recruteur : embaucher un collaborateur incapable de mesurer ses limites, difficile à former, voire toxique pour la culture d’équipe.
2. Les meilleurs talents peuvent se sous-estimer
À l’inverse, un candidat vraiment compétent peut se montrer modeste, prudent dans ses réponses, peu enclin à se mettre en avant. Ce comportement, souvent interprété à tort comme un manque de confiance, reflète en réalité une lucidité sur la complexité du métier.
👉 Risque pour le recruteur : passer à côté d’un profil hautement qualifié mais peu « vendeur » en entretien.
3. L’expérience ne suffit pas : il faut évaluer le méta-savoir
Le biais de Dunning-Kruger montre que la compétence ne réside pas seulement dans ce que l’on sait, mais aussi dans la capacité à évaluer objectivement ce que l’on ne sait pas. Ce discernement est un marqueur d’intelligence professionnelle.
👉 Bon réflexe : poser des questions sur les limites perçues, les échecs passés, les méthodes d’apprentissage. Un bon candidat est souvent celui qui reconnaît ses zones d’amélioration avec honnêteté et recul.
Comment contourner ce biais en recrutement ?
Voici quelques pistes concrètes pour les recruteurs :
Misez sur les mises en situation
Les cas pratiques, jeux de rôle, tests techniques ou business cases permettent d’évaluer les compétences réelles, au-delà des mots.
Intégrez des évaluations par les pairs
Les feedbacks d’anciens collègues ou managers offrent une vision plus objective du niveau du candidat.
Analysez la posture d’apprentissage
Les questions du type « Quelle compétence avez-vous récemment développée ? » ou « Qu’avez-vous appris d’un échec ? » sont révélatrices. Les profils les plus compétents sont souvent aussi les plus curieux et humbles.
Formez vos recruteurs à ces biais
Connaître l’effet Dunning-Kruger, c’est déjà s’en prémunir. Une équipe RH sensibilisée sera plus apte à détecter les signaux faibles derrière les discours forts.
humilité ≠ incompétence, assurance ≠ maîtrise
Dans un monde où savoir se vendre prend parfois le pas sur le savoir-faire réel, il est vital que les recruteurs affinent leur regard. L’effet Dunning-Kruger nous rappelle que la compétence se mesure aussi à la capacité à reconnaître ses limites.